L'œuvre picturale
Prisonniers à l'écuelle - 20/6/1961
À travers les décennies la peinture de Jean de Maisonseul aborde de nombreux thèmes selon des approches variées, depuis l'évocation des Prisonniers, « révoltés » ou « criants », des Mendiants, Aveugles et Bergers (1955-1961), des paysages de Tipasa et du Chenoua ou du Sahel (1965-1966), jusqu'à ses Philosophes des années 1990, proches des vieux cyniques grecs . L'une des veines les plus constantes et les plus originales de son œuvre est liée à son attention renouvelée à l'univers des pierres.
Peinture « minérale », observe d'emblée Camus.
Dans l'introduction qu'il écrit pour des textes datant de 1947 et 1948, édités quelques mois après sa mort (Les Quatre Vents, Éditions Domens, Pézenas, 1999) Maisonseul raconte lui-même comment il découvre en 1949 « la lecture des signes inscrits sur les pierres » qu'il ramasse dans les criques, au pied des falaises et des éboulis du Chenoua. Il y a deux façons de les regarder pour tenter de les voir, écrit-il : à la manière d'une sculpture, en les élevant dans l'espace , ou d'une peinture, en suivant les signes inscrits sur leur face ». C'est dans cette lecture qu'il s'engage. C'est surtout au langage des signes que je m'intéressais, découvrant qu'ils se regroupaient par famille de formes, selon des rapports, des concordances, des articulations et des analogies qui constituent un 'style'. Ainsi, je trouvais des galets égyptiens, grecs, hindous, chinois, nègres, aztèques… et aussi les plus beaux Kandinsky ou Klee que je n'aurais pas pu reconnaître il y a cinquante ans en les rejetant dans ce que j'appelais 'les formes du futur' parce qu'elles n'avaient pas encore été nommées .
Je me mis à apprendre la lecture des signes inscrits sur les pierres, les dessinant et les peignant, travail que je poursuis encore , résume-t-il. Se rattachent en effet à cette démarche les œuvres que Maisonseul présente bien plus tard sous les titres Formations puis Nomination des pierres à Alger en 1972 et 1973, Pierres du Soleil, jaunes et noires, à Sens en 1983, Pierres de la Nuit, noires et bleues ou rougeoyantes, en 1984 chez Edmond Charlot à Pézenas, Fontaine-de-Vaucluse, Pierre et Eau au Musée Picasso d'Antibes en 1988, Déserts/Brisures, Objets de l'espace et Écorces de la Nuit en 1980 et 1992 à Toulon. Ces séries de dessins aux encres typographiques et de peintures, pour la plus large part réalisées par Maisonseul après son départ d'Alger et son installation à Cuers en 1976, poussent au plus loin sa quête au bord de l'essentiel. Ces œuvres étendent, affinent un même regard sur des thèmes distincts et parents qui se succèdent et se répondent. Jean de Maisonseul rencontre ainsi en chemin le Château du Marquis de Sade (1974) à Lacoste dans le Luberon, dont il reconstruit la silhouette, relevant, d'« élévations » en « plans perspectifs », terrasses, arcades, fenêtres et tours de leurs ruines.
Château de Lacoste, élévation nord - 1975
À propos de ces œuvres Jean de Maisonseul résume en 1992 et 1945 les étapes de sa démarche. Il redéfinit en peinture l'usage du « tracé régulateur », familier à sa pratique architecturale, qui selon Le Corbusier « confère à l'œuvre l'eurythmie » et apporte « la perception bienfaisante de l'ordre ». Le principe, écrit Jean de Maisonseul, consiste à relier par des droites les points donnés par les modules des quatre côtés de la surface du support, ouvrant ainsi plusieurs éventails dont le recoupement des branches propose de multiples points de passage possible, points structurant la représentation qu'on se propose. (…) Un point nous donne le chemin. » En un premier dessin Jean de Maisonseul esquisse au long de ces points d'articulation les tensions qui porteront les mouvements du regard, menant à une construction qui devient écorce, sculpture, architecture ». Un second dessin y infiltre par le clair-obscur ombres, lumières, pénombres . Dans le troisième les couleurs introduisent la radiation de la lumière, ses modulations. En un dernier moment le peintre poursuit sa recherche sur des contreplaqués de grands formats par des frottis et des glacis de couleur étendue sur des enduits de haute pâte.
En ses étapes ordonnées, la démarche de Jean de Maisonseul, unique dans l'art contemporain, apparaît rigoureusement réfléchie et tout à la fois libérée de toute contrainte. L'étendue dans le temps du travail des différents dessins et le passage à la peinture à l'huile conduisent à des modifications, des variantes, des fantaisies suivant l'heure et l'humeur du peintre et des propositions plastiques possibles , précise-t-il. Le dessin préparatoire n'est que filet protecteur , les peintures au-delà sont livrées à l'aléatoire des grands jus, clairs-obscurs monochromes colorés , confie Maisonseul de ses Pierres de Nuit. Le calcul de la trame, moyen et non recette, n'emprisonne pas la démarche du peintre, lui assure plutôt les conditions d'une découverte créatrice.
C'est le château inverse de La Falaise et du Gouffre (1979) que fait apparaître quelques années plus tard la série de l' Affleurement des eaux à la Fontaine-de-Vaucluse. Au spectacle de la déconstruction au long du temps succède celui des constructions mêmes de la pierre, le dévoilement de ses premières architectures. Pour qui sait le tragique, il n'est d'autre réalité que l'apparence des formes faites et défaites par la vie” notera Maisonseul (“Louis Bénisti”, Espace Interrogation, Toulon, 1993). Sur ses dessins et peintures monochromes l'eau se fait pierre fluide, la roche eau densifiée. L'univers de la pierre semble chez Maisonseul contenir toutes les formes, jusqu'à celles du corps humain (Roche et eau, 1978). Dans la voie de cette minéralisation, le ciel même se fait roche transparente en suspension (Brumes du matin, 1979), l'arbre château de pierre vivante (Arbre de nuit, 1982; Écorces de la nuit, 1990-1991).
La falaise - 18/2/1979
Pierres de la nuit - Pierre Lune - 1984
Cette découverte apparaît chez Maisonseul simultanément plastique et poétique. Dans la reconstruction solennelle de l'espace transparaît un univers tout de silence. Au plus profond de la durée géologique Maisonseul fait entrer dans l'instant arrêté de la présence la plus pure, affleurer la conscience palpable de l'infini , écrit Michèle Domerc Vidal préfaçant les Pierres de la Nuit. Dans l'espace de ses œuvres « physique et métaphysique » s'articulent et communiquent, observe Lorand Gaspar. Stéphane Gruet insiste semblablement sur la dimension « métaphysicienne » de son œuvre. « C'est l'impression d' 'originel' qui immédiatement s'impose devant ces tableaux (…), l'esthétique la plus haute renvoie à la métaphysique la plus nue » analyse encore Jean-Claude Villain. « Chaque fois, Jean de Maisonseul fixe une visitation », écrivait Jean Sénac en 1968 : « Ce n'est pas impunément que le peintre a vécu avec Camus la genèse des Noces. Il ne s'agit pas d'arrêter le temps mais d'échapper par un instant, un signe, immobilisés dans leur vif, à notre inacceptable temps mortel », ou bien, dans ses œuvres ultérieures, de tenter de rejoindre, au-delà de ce temps mortel, l'instant perpétuel du monde.